Chèr·es lecteur·ices,
Je me suis rendu compte que ça faisait plusieurs mois que je vous envoyais des lettres assez plombantes, alors de peur que vous ne preniez toustes la fuite, j’ai décidé de vous offrir quelques histoires positives. J’espère que vous allez bien, que mes précédentes lettres, l’état du monde, la géopolitique, le climat et le fascisme ne vous submergent pas d’angoisse (quand bien même ça serait tout à fait légitime) et que vous êtes bien entouré·es. Aujourd’hui, parce que ça fait du bien, et parce que je vous avais promis la fin de cette histoire, je vais vous parler d’une victoire (oups, spoiler).
Donc, au programme d’aujourd’hui :
Une banale histoire de violence obstétricale : suite et fin.
Quelques ressources pour approfondir
Deux expériences relationnelles qui m’ont donné de la joie : Week-end d’écopsychologie en famille / Le Festival du Feutre
Pour bien comprendre cette lettre, il est préférable d’avoir lu les deux précédentes, que vous pouvez trouver ici ↓
Mais si vous n’avez pas le temps, je vous fais un récap : en décembre 2019, j’ai été victime de violence obstétricale de la part d’un radiologue (pénétration vaginale non consentie avec une sonde) (cf. lettre “Enlevez le slip”). J’ai porté plainte auprès de l’ordre des médecins et participé à une tentative de conciliation (cf. lettre Dans l’intérêt de la mère), suite à laquelle j’ai maintenu ma plainte.
Une banale histoire de violence obstétricale (3/3)
Alors qu’on attend tranquillement (naïvement) une date d’audience, on reçoit un beau jour un dossier envoyé par l’avocate du Dr. T, qui demande à ce que nous soyons condamné·es à lui verser 5000€.
5000€, donc, pour avoir osé me plaindre.
Ça, on ne l’avait vraiment pas vu venir. Mon mari et moi, on comptait aller à l’audience la fleur au fusil, avec notre bonne foi et nos explications, mais on comprend que ça ne va pas être si facile. Sans avocat, on risque de se faire écrabouiller.
En lisant le dossier, je suis à la fois outrée, en colère et malgré tout un peu déstabilisée. J’ai l’impression de déranger, d’avoir exagéré. Mais je m’accroche : je suis lancée, je vais aller au bout, pour protéger les futur·es patient·es.
Par ailleurs, j’ai désormais compris que personne d’autre que moi ne ferait d’enquête pour chercher de potentielles victimes supplémentaires de ce praticien.
On cherche et on trouve à notre tour une avocate.
Je sors un peu allégée de notre premier rendez-vous avec elle. Elle a l’air confiante. Elle me répète que notre démarche est justifiée et ça fait du bien à entendre. Le simple fait d’avoir ce rendez-vous, et donc de me ramener la procédure à l’esprit, m’avait torturé toute la semaine précédente. Chaque fois que j’apercevait dans mon agenda «rdv avocate», mon estomac se nouait brutalement.
Bon, ensuite je vous passe les détails, ça prend des mois et des mois, les avocates s’envoient des dossiers dans un interminable ping-pong, quelques ex-patientes que j’ai retrouvées acceptent de livrer un témoignage écrit, j’ai des montées d’angoisse à chaque fois qu’un courrier ou un mail me ramène à cette histoire. Ce n’est pas facile de tenir sur la durée. Je me dis régulièrement que si je pouvais arrêter la procédure d’un coup et qu’on me fiche la paix, je le ferais peut-être. Mais on est lancé·es, et je suis bien obligée désormais de faire avec. Peut-être que c’est tant mieux.
Arrive un jour où notre avocate et son homologue adverse pensent toutes deux que ce qui avait besoin d’être dit l’a été. Le temps de l’affrontement final est donc venu…
Mon père est médecin, comme elle. Il m’a parlé de cette sorte d’omerta dans le milieu médical ; les bruits de couloir à l'hôpital qui disent qu’untel fait ceci ou cela, mais personne ne dénonce, ce ne sont que des bruits de couloir, qui sait si c’est vrai ?
Mon amie pense que les médecins se protègent toujours entre eux, et qu’il ne vont faire de nous qu’une bouchée.
Trop tard pour renoncer, on y va quand même.
La nouvelle en question, c’est que dans son empressement à se défendre, le Dr T. a transmis notre dossier médical à un confrère, sans l’anonymiser, pour que celui-ci fasse une lettre stipulant que les actes médicaux réalisés étaient bien indiqués et nécessaires. Ce faisant, il a violé le secret médical. Et ça, c’est apparemment une bonne nouvelle pour nous, parce qu’il va se faire taper sur les doigts. Ça nous laisse relativement de marbre, mais notre avocate a l’air vraiment ravi.
Je lui montre les derniers avis Google que j’ai collectés. Certains datent d’à peine plus d’un an, et racontent à nouveau des situations très violentes et similaires à ce que j’ai vécu. Ça me met en rage : j’avais espéré très fort que le fait d’avoir cette plainte sur le dos l’aurait au moins fait se tenir à carreau le temps de la procédure mais visiblement il n’a pas modifié ses pratiques d’un iota.
Le lendemain matin, on n’en mène pas large.
Mais alors qu’on attend dans le hall du bâtiment, on voit à travers la baie vitrée un groupe d’hommes s’approcher. On regarde autour de nous avec angoisse, comme des lapins pris au piège.
Sauvé·es par le gong. Une femme s’approche.
Je lui aurais sauté dans les bras.
Mesurons quand même ceci : la procédure normale, c’est de faire attendre pendant une heure (ou plus) dans la même pièce la personne qui a porté plainte pour viol et son agresseur (enfin la personne qu’elle accuse de l’être en tous cas).
L’audience précédente se termine, c’est à notre tour.
Elle raconte à nouveau ce qu’il s’est passé.
En bon mâle dominant, le Dr. T. ne laisse pas son avocate s’exprimer.
Il monopolise la parole et se défend mal. Comme lors de la conciliation, il répète sans cesse qu’il a été impeccable sur le plan technique, alors qu’on a bien précisé ne rien avoir à lui reprocher de ce côté là.
Le sujet de la violation du secret médical arrive. Ça, l’Ordre des Médecins, ils n’aiment pas. Mais alors, pas du tout.
Puis ils reviennent sur le point sur lequel tout se focalise : a-t-il, oui ou non, délivré une information claire et complète à la patiente (moi) et recueilli mon consentement pour l’échographie endovaginale ?
Il s’empêtre dans ses explications, essaie de mentir, le fait mal, se contredit, et le jury en face ne le lâche pas :
— Avez-vous informé Mme Plantin de ce que vous alliez faire ?
— Oui, bien sûr !
— De quelle façon ?
— Eh bien je lui ai dit : “il faut visualiser le corps calleux, on va faire une échographie endovaginale”.
— Là, vous n’avez pas recueilli son consentement.
— Et bien j’ai dit : “il faut visualiser le corps calleux, on va faire une échographie endovaginale, êtes-vous d’accord ?”
— Ah bon ?
— Oui, mais je pense qu’elle a pas compris la dame, c’est dommage.
— Donc elle n’a pas dit oui ?
— Ben… non
— Donc puisqu’elle n’avait pas compris et pas donné son accord, vous auriez dû lui redemander ?
— …
Pour finir, le magistrat interpelle le docteur T. :
Moment magistral.
Cela tient peut-être à la personnalité très agaçante de l’accusé, mais à aucun moment le jury ne s’est montré complaisant envers lui.
J’aurais aimé vous raconter une victoire flamboyante, pas cette victoire en demi-teinte. Mais une victoire est une victoire ! 🥳
Alors de tout cela j’ai juste envie de retenir trois choses :
Il y a des chemins qui sont inconfortables, parce qu’on ne nous y attend pas, et que certains ont intérêt à nous y faire sentir illégitimes. Mais l’absence de paix intérieure qu’on y éprouve n’est pas forcément le signe qu’il ne faut pas continuer à avancer dans ce sens. La paix viendra plus tard.
Les combats d’aujourd’hui construisent les victoires de demain. Toutes nos avancées féministes, même petites, pavent la route pour les avancées de demain. Aucune victoire n’est dérisoire. Merci aux luttes féministes de ces dernières années pour leurs luttes pour la reconnaissance de la notion de consentement dans la loi sur le viol. Elles ont certainement leur part dans ma petite victoire.
Et enfin, ça vaut la peine de se battre pour un monde plus juste. Parce que oui, c’est dur et exigeant… Mais parfois, on gagne ! 🥳
Merci à Baptiste, l’amour de ma vie, qui a vécu tout cela avec moi, pour qui ça a été très difficile aussi, et qui a été — et est toujours — un soutien infiniment précieux.
Et merci à vous, de m’avoir lue jusqu’ici. J’ai fait des dessins très imparfaits parce que je n’avais pas l’énergie d’y passer trois mois, mais apparemment vous m’avez lue, alors merci pour votre indulgence. Ça fait très longtemps que je pense à raconter cette histoire, presque depuis qu’elle a commencé, et je suis contente de pouvoir aujourd’hui y mettre le point final.
Je suis heureuse et fière d’avoir mené ce combat. Que brûlent le patriarcat et toutes les formes de domination, vive les luttes féministes ! 🔥
Pour aller plus loin, je vous ai bien sûr concocté une liste de ressources aux petits oignons !
Dans ma bibliothèque ce mois-ci il y a donc :
Ce magnifique roman de Martin Winckler, qui parle de la posture de soignant·e, du sexisme dans la médecine, de violences sexistes et sexuelles, tout ça dans un roman passionnant, émouvant, puissant, que vous n’aurez pas envie de lâcher !
Ou son adaptation en bande dessinée si vous n’avez pas envie de prendre le temps de lire le roman (la BD est très bien et j’aime beaucoup le travail d’Aude Mermilliod mais le roman est vraiment génial et à mon humble avis ça serait dommage de ne pas en profiter dans sa version originale).
Ce post de Math sur les raisons pour lesquelles beaucoup de femmes victimes de violences ne portent pas plainte :
Cette enquête qui montre que les femmes ayant subi des VOG sont plus à risque de dépression post partum
Ce beau documentaire sur les VOG :
Ce court article de La Croix qui retrace l’historique de la définition pénale du viol, à l’heure où nos député·es viennent d’adopter en première lecture une proposition de loi intégrant le non-consentement à la définition pénale du viol.
Pour finir cette lettre de célébration, j’avais envie de vous partager deux autres histoires qui me mettent en joie.
Maintenant que je suis grande (bientôt 32 ans, je crois que je suis ce qu’on appelle couramment une adulte), j’arrive mieux à identifier ce qui me nourrit dans les relations et je peux du coup mettre en place les conditions qui favorisent cela. C’est à dire (co)créer des moments qui me permettent de vivre ce que je désire vivre. C’est ce que j’ai fait dernièrement avec ma famille et avec mon écosystème professionnel.
Je vous avais déjà mentionné mes copines de facilitation graphique dans ma lettre sur l’amitié, ces consœurs qui me soutiennent beaucoup dans mon activité pro (et dans ma vie perso aussi à vrai dire).
Avec elles, on a organisé deux jours de résidence créative pour 20 facilitatrices graphiques indépendantes. Deux jours de rencontre pour parler boulot, clients, matériel, facturation, etc., sous le signe de la sororité et de la coopération, dans un esprit de solidarité et de soin qui m’a profondément réjouie.
Des amitiés se sont nouées ou renforcées et je sens depuis un élan de contribution et d’entraide entre toutes qui nourrit ma confiance dans la vie (oui, oui, rien que ça !).









Sur un autre sujet, j’ai organisé fin février un week-end de Travail qui Relie1 (TQR) avec mes parents, mes frères et sœurs et leurs conjoint·es.
Depuis un moment, je sentais des différences de positionnement, d’opinion, de niveaux d’engagement qui grandissaient et je craignais que l’aggravation des crises mondiales et de la divergence de nos perceptions de celles-ci ne viennent à terme mettre de la distance et/ou de la tension entre nous. Or, on n’arrive pas du tout à se parler sérieusement ou en profondeur quand on est tous et toutes ensemble, ce qui n’arrive tout au plus que deux à trois fois par an (il est peut-être utile de préciser à ce stade que j’ai 8 frères et sœurs).
J’avais une petite appréhension en appelant un·e par un·e chacun·e de mes sœurs et frères pour leur demander s’il accepteraient de participer à ce week-end, mais toustes m’ont donné leur accord (même si certain·es n’étaient pas excessivement emballé·es).
Aurélie et Nora, des amies dont c’est le métier, ont animé ce temps pour nous. C’est ainsi que pendant un week-end on s’est beaucoup parlé, on a joué ensemble, on a partagé des moments en forêt et on a ri. Cette expérience nous a permis d’avoir des moments d’échange que l’on n’avait jamais eus ailleurs. J’ai découvert certain·es membres de ma famille autrement, j’ai mieux compris certains positionnements et je sens que cela a ouvert une possibilité de dialogue en profondeur qui continuera à irriguer nos relations familiales sur le long terme.
Un de mes frères m’a dit en partant « j’avais clairement dit oui juste pour te faire plaisir, mais en fait, si j’avais su ce qui allait se passer, je serais venu simplement parce que j’en avais envie ! ». Que demander de plus ? 🥳

J’arrête là cette lettre déjà bien longue ; si vous avez envie de me soutenir, n’hésitez pas à prendre deux minutes pour penser à des personnes que mes lettres pourraient intéresser et à leur transmettre celle-ci ! Ça permet de diffuser mon travail, et c’est un vrai encouragement pour moi ! ❤️ (et parfois même ça me permet de gagner un peu de sous)
Plein de douceur et d’énergie militante sur vous,
À bientôt !
Louise
Je suis absolument stupéfaite de ta lucidité, de ta force et de ta ténacité dans cette histoire, bravo mille fois ! Les violences obstétricales ne sont que trop courantes, mais là tu étais tombée sur un tel cas, quelle ordure, je suis choquée ! Merci à toi d’avoir pu et voulu aller jusqu’au bout de la procedure pour toutes les femmes qui n’ont pas pu !
Merci Louise pour ton témoignage. J'aime beaucoup lire tes articles du carnet. Le dernier sur l'accueil des migrants nous a fait franchir le pas de l'accueil !
C'est vraiment chouette de te.lire !
Blandine Halgand