Chèr·es lecteurices,
Je vous écris depuis ma cuisine, dans laquelle il y a une belle lumière en ce début d’après-midi. On est mercredi et les enfants font la sieste.
Je pense très fort à l’époque où l’un de ces enfants était encore bien au chaud dans mon ventre. Où j’avais l’impression qu’il était à l’abri du monde, protégé de tout par mon corps, et au jour où j’ai senti que ce corps n’était finalement pas une forteresse si impénétrable.
Aujourd’hui donc, après le teaser involontaire de la dernière fois, je vais vous parler de violences obstétricales (et donc de violences sexistes et sexuelles). Si le sujet est sensible pour vous ou que ce n’est pas un bon jour pour lire des trucs pas très fun, n’hésitez pas à passer votre chemin, je ne vous en tiendrai pas rigueur, de temps en temps c’est nécessaire de se préserver !
Je suis déstabilisée, mais je fais ce qu’on me dit.
Le médecin me met du gel. C’est normal et nécessaire pour l’échographie, mais je n’avais jamais été aspergée si copieusement. Ça dégouline de partout.
Avant même que je ne dise un mot, mon mari me dit “Je suis tellement désolée. J’ai laissé ce type te violer sans rien faire”.
Ce mot de viol — qui s’était écrit en lettre de feu dans mon esprit au moment où le médecin a enfoncé la sonde dans mon vagin sans avoir demandé mon consentement ni m’avoir prévenue de ce qu’il allait fait — j’ai encore du mal à l’employer.
Un viol ce n’est pas ça, c’est pire que ça, c’est plus violent, et puis ce n’est pas avec une sonde, et puis il n’y avait pas, peut-être, mais on ne sait pas, d’intention de violer ? Je tergiverse, je me dérobe, je trouve des excuses.
Pourtant, c’était un viol.
Et s’il y a certainement des gradations dans la violence, c’est partout la même logique qui opère : des hommes qui disposent du corps des femmes comme si ceux-ci leur appartenaient. Comme si ceux-ci n’étaient que des objets.
Dans le cas des violences gynécologiques et obstétricales, la domination médicale se conjugue avec la domination patriarcale. Là encore, le corps est perçu comme un objet.
Un truc technique à analyser ou à réparer, mais pas une personne. Pas un sujet.
Allongée sur cette table comme un bout de viande sur la planche du boucher, je n’avais rien à dire.
Je n’existais pas.
Dans les jours qui suivent, on raconte à nos proches ce qui nous est arrivé.
On ne prononce jamais le terme de viol. Il ne serait pas accueilli. Trop choquant. Disproportionné par rapport à ce que j’ai vécu.
Mon histoire est très banale. Tous les jours en France, des femmes vivent des pénétrations médicales non consenties.
Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat, chuchote une petite voix à l’intérieur de moi.
A ce stade, on aurait pu en rester là. Une expérience désagréable et violente, mais que j’aurais pu, je crois, digérer.
Violence, insultes, mépris, grossophobie, validisme, sexisme. Tous les témoignages font froid dans le dos. Certains récits sont extrêmement proche du mien.
Ce n’est pas une erreur de parcours.
On n’est pas tombés un mauvais jour.
Cet homme se comporte de cette façon avec tous·tes ses patient·es.
Cette histoire ne s’arrête pas là (ooooh non !) mais c’est assez long pour aujourd’hui, je ne veux pas vous perdre en route. La suite, donc, au prochain épisode (peut-être le mois prochain, peut-être un peu plus tard).
Je vous laisse avec ces quelques chiffres trouvés dans l’édifiant rapport du Haut Conseil à l’Égalité Les actes sexistes durant le suivi gynécologique — Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaitre, prévenir et condamner le sexisme1, dont je recommande la lecture, surtout si vous êtes un·e soignant·e.
Voilà, avec tout ça, on n’est jamais sûr·es d’être dans de bonnes mains…
Alors pour finir, un petit conseil qui ne mange pas de pain : n’allez jamais chez un·e soignant·e sans vous être renseigné·es avant (a minima sur Google). Surtout si vous êtes une femme, et/ou gros·se, et/ou racisé·es, et/ou handi·e, et/ou d’une autre population minorisée. Ça ne protège pas de tout, loin de là, mais ça peut au moins nous éviter quelques-un·es des pires.
Et ça peut aussi vous permettre de trouver des perles, parce que des soignant·es humain·es, bienveillant·es, respectueux·ses, oui, il y en a. Et vous avez le droit d’être bien soigné·e.
Bisous (si consentis !), prenez soin de vous, des autres et du monde,
& à très bientôt !
Louise
Rapport n°2018-06-26-SAN-034, voté le 26 juin 2018, disponible ici : Les actes sexistes durant le suivi gynécologique