Vous lisez le Carnet — La lettre illustrée qui parle d’engagement, d’écologie, de féminisme, d’antiracisme et de comment on se dépatouille avec le monde bouleversé qui est le nôtre. Une fois par mois, si tout se passe comme prévu !
Chèr·es lecteurices,
Pour bien comprendre cette lettre, il est préférable d’avoir lu la précédente, que vous pouvez trouver ici ↓
Vous êtes nombreux et nombreuses à vous être abonné·es ces dernières semaines (merci !), alors si vous ne savez pas trop où vous avez mis les pieds, vous pouvez lire ma première lettre ↓
Une banale histoire de violence obstétricale (2/3)
Je reprends donc l’histoire où je l’avais arrêtée. Pour rappel, après avoir subi un examen médical pas tip-top (ceci est un euphémisme), j’ai découvert que le médecin qui m’avait reçue avait des dizaines d’avis sur internet dénonçant des pratiques brutales et discriminatoires et une absence répétée de prise en compte des patient·es et de leur consentement. Je consigne alors par écrit tout ce qui m’est arrivé et je passe à autre chose. La vie reprend son cours.
Au lieu de cela, on me propose une Conciliation.
En gros, c’est un moment de rencontre entre la personne plaignante et le·a médecin mis en cause. Signalons au passage que se retrouver face à son agresseur peut être très violent pour les victimes, particulièrement dans le cas de violences sexuelles1.
Dans mon cas, par chance, comme nous habitions loin du département où avait eu lieu la consultation, nous avons pu participer à cette conciliation en visioconférence. Cela ne m’a pas empêchée d’avoir mal au ventre pendant une semaine avant le jour J, mais la distance induite par l’écran était plus que bienvenue.
Donc, le jour de la conciliation arrive. Nous sommes le 28 septembre 2022, soit environ 3 ans après les faits.
Baptiste (mon mari) et moi, on n’en mène pas large.
Deux médecins du conseil de l’ordre sont là, ainsi que le Dr T., accompagné de son assistante. Un médecin résume ma plainte « M. Et Mme Plantin accusent le Docteur T. de maltraitance psychologique et de viol en commettant un acte de pénétration vaginale sans consentement et par surprise, abusant de sa position de soignant »
Je raconte à nouveau l’histoire, puis c’est au Dr T. de parler.
Pendant de longues minutes, il nous explique en détail combien son intervention a été techniquement irréprochable (on n’a jamais dit le contraire) : « Vous avez eu une échographie hyper complète, avec un compte rendu hyper détaillé, le compte rendu est complet avec toutes les mesures (…) c’est une écho hyper complète qui a été faite, alors PEUT-ÊTRE qu’il y a eu un ressenti et un mal vécu, ça je peux l’admettre, mais moi je tiens à dire que les choses ont été faites complètement. D’ailleurs l’écho a duré trop longtemps, et vous pouvez regarder vous avez les photos du corps calleux dans les DEUX SENS ! »
(Mon Dieu, le corps calleux dans les deux sens, mais quelle aubaine !)
Il nous explique également combien on aurait pris des risques démesurés si il n’avait pas fait cet examen (notons qu’on ne lui a jamais reproché de l’avoir fait, seulement de ne pas m’avoir prévenu ni m’avoir demandé mon accord) : « De toute façon, qu’est-ce qu’il faut faire ? Ne pas faire l’écho endo ? Ne pas savoir si il y a une anomalie du corps calleux ? Et s’il y a une anomalie du corps calleux, on pourra me reprocher directement, et là à juste raison, de ne pas l’avoir vérifié ! » « Le but de l’échographie endovaginale chez un foetus en position céphalique, c’est simplement de vérifier de corps calleux, pour savoir s’il n’y a pas une agénésie totale ou partielle, ou une hypoplasie du corps calleux. Il faut savoir que si votre enfant a une hypoplasie du corps calleux, il risque d’avoir un retard mental, et dans les formes très avancées ça peut aller même jusqu’à des troubles du tonus ou autre, et à l’état quasiment végétatif. (…) Il n’y a jamais eu d’intention de nuire de quelque façon que ce soit, AU CONTRAIRE. Parce qu’une agénésie totale ou partielle du corps calleux, les conséquences peuvent être colossales. »
(En fait, le gars, il m’a sauvée, vous voyez le genre ?)
Il explique aussi qu’ils font systématiquement mettre les patientes en sous-vêtements dans son cabinet parce que ça permet de gagner du temps SI JAMAIS on remarque qu’un examen plus approfondi est nécessaire (préférer l’inconfort de 100% des patientes pour que, une fois de temps en temps, on gagne dix secondes, ça parait tout à fait pertinent en effet).
Sur la question de l’information et du consentement, il affirme « Je vous ai certainement dit comme je le dis à toutes les dames, « vous allez uriner on va faire une endo pour vérifier le corps calleux » (Le fait est qu’il ne m’a même pas dit ça, mais enfin même s’il l’avait dit, qui comprend cette phrase ?) « J’ai dit “allez aux toilettes, on va faire une endo pour vérifier le corps calleux”. C’est ce que je dis toujours. Bon ceci dit, après les gens ont peut être pas compris, ça je veux peut être bien l’admettre. Mais moi ça a été fait dans l’intérêt de l’enfant ! Et de la mère ! »
Moi, j’essaie de garder mon calme et de faire de la pédagogie « Vous demandez : qu’est-ce qu’il faut faire ? C’est simple : ce qu’il faut faire, c’est prévenir et demander. C’est peut être fou, mais je demande à ce qu’on me demande mon autorisation au moment où —
Il m’interrompt : — Vous avez signé ! (le papier d’accord pour l’examen, en arrivant au cabinet)
— AU MOMENT OÙ ! (Je commence à être vraiment fâchée) on le fait. De me dire, « Madame, je dois vous faire une endo, cela signifie que je vais entrer cela dans votre vagin, est-ce que vous êtes d’accord ? »
— Mais ça a été dit madame. (Le culot de ce gars)
Dans ma grande mansuétude, je retente la pédagogie de façon plus cash :
— Encore une fois, je ne conteste pas la nécessité de l’examen. J’ai été enceinte deux fois, des choses qui ont pénétré mon vagin il y en a eu plein et ça ne m’a posé aucun souci (ce qu’il m’amène à dire, tout de même). Le problème, c’est la façon dont ça a été fait (…) Ce n’est PAS le fait de l’avoir fait.
On tourne encore en rond un bon moment là-dessus, il revient sans cesse à son expertise médicale impeccable. Il finit même par accuser les médecins que j’avais vu pour les échographies précédentes d’avoir mal fait leur travail parce que je n’ai jamais eu d’endoscopie vaginale précédemment.
S’ensuit une scène de conclusion assez désespérante où la médecin du Conseil, soucieuse d’aller au bout de sa conciliation, essaie de nous faire dire que le médecin nous a présenté ses excuses (ce qu’il n’a pas fait) et qu’on pourrait arrêter là.
Hors de question qu’on le laisse s’en tirer à si bon compte.
À ce moment-là, on ne le sait pas encore, mais on est loin d’être au bout de nos peines. Le vilain bonhomme n’est pas du genre à accepter ses torts, et il ne va pas se laisser faire (mais nous non plus !).

Mais comme c’est encore un peu long, j’arrête ici pour aujourd’hui ; la suite au prochain épisode !
L’intime est politique
Ça va mieux en le disant : ce n’est pas parce qu’on nous soigne dans notre intérêt, qu’on a le droit de nous soigner n’importe comment. L’argument de ce médecin “Je l’ai fait dans votre intérêt” est un classique. C’est facile : sous prétexte que l’acte médical est justifié, nous n’aurions rien à dire. Mais c’est faux. Le consentement n’est pas un “petit truc en plus” ou une lubie, c’est une obligation déontologique.
Article 36 (article R.4127-36 du code de la santé publique)
Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.
Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.
On aura aussi la variante : “C’est gratuit donc tu n’as pas à te plaindre” (généralement sous la forme de “Si vous n’êtes pas contente allez dans le privé”). Ne manquons pas de nous rappeler qu’en France le système de santé est financé par nos cotisations sociales, et que ce n’est donc pas une aumône qu’on nous fait mais un droit que l’on finance collectivement !
Enfin, il est utile aussi de rappeler que la relation patient·e/médecin est un rapport de pouvoir. Le médecin est dans une position de domination (parce qu’il a la connaissance — le spécimen de cette lettre ne manque pas de s’en servir en nous assommant d’agénésie du corps calleux — et que le·a patient·e a besoin d’être soigné·e)
Tout cela souligne aussi la nécessité d’avoir plus de moyens pour notre système de santé : pour que toustes les soignant·es puissent faire leur travail dans de bonnes conditions, et pour qu’aucune pénurie de soignant·es n’oblige qui que ce soit à continuer à se rendre chez un·e soignant·e maltraitant·e.
S’outiller & comprendre
Le guide (belge) ZONES À DÉFENDRE Manuel d’autodéfense féministe dans le cadre de la consultation en santé sexuelle et reproductive est une super ressource sur tous ces sujets. Il aborde la définition des violences gynécologiques et obstétricales, les raisons qui nous rendent vulnérables, des outils pour réagir et les moyens de se défendre. En plus, il est très joliment illustré !
Il existe un annuaire des professionnel·les de santé féministes ici et vous pouvez trouver un récap des procédure pour faire valoir ses droits envers une maternité et/ou un·e soignant·e sur le blog de Marie-Hélène Lahaye.
Pour finir, un petit post de Baptiste Beaulieu qui résonne avec toute cette affaire, parce que comme ça, c’est un médecin qui le dit (et parce que j’adore Baptiste Beaulieu, pas vous ?).
La parole est à vous
Une amie m’écrivait l’autre jour “Je suis en colère et triste que toutes ces violences insupportables nous marquent toutes de manière si systématiques et durable.”
Je suis convaincue que de faire des ces récits intimes une conscience collective est un des leviers du changement. Si vous avez envie de témoigner à votre tour de violences obstétricales ou gynécologiques subies, vous pouvez me les envoyer par email pour que je les relaie anonymement, ou bien les écrire en commentaire de cette lettre sur Substack.
Bonne journée et à très vite,
Louise
Merci à Aurélie, Axel, Véronique, Blandine et Enora qui ont choisi de souscrire à un abonnement payant pour soutenir mon travail. Ça compte beaucoup pour moi symboliquement et ça me permet concrètement de dédier plus de temps à écrire et illustrer ces lettres (et j’adore ça).
Vous pouvez aussi me soutenir en diffusant mon travail, n’hésitez pas à partager ces lettres à des ami·es que ça pourrait intéresser !
On nous avait indiqué que nous pouvions refuser cette conciliation. Certaines sources officielles indiquent à l’inverse que celle-ci est obligatoire. En tous cas, cela nous avait été déconseillé par des proches médecins : participer à la conciliation serait perçu comme une preuve de notre bonne foi/notre bonne volonté.
Le rapport du Haut Conseil à l’Égalité Les actes sexistes durant le suivi gynécologique — Des remarques aux violences, la nécessité de reconnaitre, prévenir et condamner le sexisme (Rapport n°2018-06-26-SAN-034, voté le 26 juin 2018) indique à ce sujet : “En ce qui concerne particulièrement les violences sexuelles dans le cadre de la relation de soin : en 2016, l’Ordre des médecins a instruit 48 plaintes au niveau régional et rendu 15 décisions en appel au niveau national pour des faits relevant d’agressions sexuelles et de viols. Or, l’Ordre n’a, à ce jour, pas mis en place de procédure spécifique dédiée aux violences sexuelles et des réunions de conciliation sont organisées entre les victimes et leur agresseur désigné, alors même que la « Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique », ratifiée par la France en 2014, interdit formellement cette pratique en cas de violences faites aux femmes.”