Cher·es lecteur·ices,
La semaine dernière, il a neigé. Celles et ceux d’entre vous qui ont lu ma dernière lettre devinent que je me suis dit c’est un effet du dérèglement climatique et ah c’est bien au moins mes enfants auront vu une dernière fois la neige avant que ça disparaisse pour de bon de nos existences. Bien sûr.
Mais j’ai aussi pris le temps de contempler la beauté de ce manteau blanc, d’écouter le bruit de mes pas sur celui-ci et de m’allonger dans la poudreuse pour y faire un ange. Et c’était merveilleux.
“Cheminer sur cette ligne de crête qui oscille sans cesse entre inquiétude et émerveillement, et y trouver nos points d'équilibre, implique une égale aptitude à déceler la beauté, à s'en réjouir et à poser un regard lucide et déterminé sur ce qui est en train de la saccager.”
Corinne Morel-Darleux
Alors, une fois n’est pas coutume, ce mois-ci j’ai envie de vous parler de choses joyeuses. Le genre de choses qui permettent d’avoir les pieds dans le réel et de trouver malgré tout beaucoup de beauté à la vie.
Parmi ces choses, il y en a une très importante pour moi — et c’est ce dont je vais vous parler aujourd’hui dans Le Carnet : l’amitié (et toutes ses déclinaisons : la camaraderie, la sororité, la fraternité, l’adelphité1, etc. !).
La vie n’aurait aucun goût sans toutes les relations que j’ai avec les autres humain·es.
Je profite donc de ce mail pour vous remercier, vous toutes et tous qui faites partie de ma vie, pour le soutien, la joie, le partage, l’entraide, la rigolade, les larmes, les souvenirs, les projets, la rage, l’espérance, la complicité, les câlins, les baignades, les thés chauds, les raclettes et tout le reste.
La carte de soutien
Petite proposition d’exercice à faire chez vous pour commencer !
Il y a 4 ans, pendant mon premier stage de TQR, on nous avait proposé de dessiner notre carte de soutien : cartographier les personnes présentes dans notre vie (pas les simples connaissances mais les personnes qui ont une importance pour nous), en disposant leurs prénom autour du nôtre, en représentant la relation de soutien par une flèche, plus ou moins épaisse en fonction du niveau de soutien reçu/apporté.
En faisant l’exercice, j’avais réalisé que je ne me sentais pas très entourée, voire carrément seule. Mes amies d’enfance/adolescences étaient loin et disparaissaient peu à peu de ma vie, je n’avais pas de collègues parce que je travaillais seule, ma famille habitait très loin de moi…
Voici la carte que j’avais tracée :
J’ai mis à jour cette carte aujourd’hui :
C’est évident quand je le regarde comme ça en image, mais à vrai dire c’est visible aussi dans mon quotidien : je sais et je sens que je suis plus entourée. Et c’est génial !
Je sens aussi que cette carte n’a pas fini de s’enrichir et que chacune des relations qui y sont mentionnées peuvent encore se développer, se renforcer et grandir. C’est une grande source de joie pour moi.
Du coup, je vous propose de le faire pour vous : prenez une feuille, et tracez votre propre carte de soutien. Puis regardez-la en vous demandant : est-ce que je me sens soutenu·e ?
L’amitié à l’âge adulte, c’est un sacré défi. On peut carrément avoir l’impression que c’est foutu si on sort de ses études sans avoir trouvé ses meilleur·es potes, tant il est difficile de nouer de vraies relations par la suite.
À part les collègues de travail, il n’y a plus personne avec qui on passe autant de temps que les personnes avec qui on a partagé les bancs de l’école. Et au rythme d’un apéro par mois, les relations peuvent mettre plusieurs années à permettre à la confiance et à la complicité de s’installer.
Alors, je n’ai pas de solution magique, mais j’ai quand même envie de vous partager ce qui a marché pour moi. Et si vous sentez que votre réseau de soutien est un peu maigre, offrez-vous un moment pour chercher ce qui pourrait permettre de l’enrichir de quelques nouvelles connexions !
Comment je me suis fait des potes (et des ami·es très précieux·ses)
La question du lieu
J’ai grandi à Lille, fait mes études à Paris puis Angoulême, et ensuite habité Grenoble, Clichy, Amiens et Besançon. Entre 2012 et 2022, je n’ai jamais habité deux ans au même endroit. Autant vous dire que j’ai eu du mal à construire des relations amicales dans la durée !
Et puis, il y a 3 ans, on s’est installé·es à la campagne, dans un village de 600 habitant·es.
Cela a été extrêmement bénéfique pour plusieurs raisons :
Dans un petit village, on se croise tout le temps. En allant acheter le pain, en se baladant, à la bibliothèque, au marché ou en allant chercher les enfants à l’école. On a donc vite fait de passer d’ “inconnu·e” à “connaissance” puis à “pote”.
Et il y a tous ces liens créés simplement par le partage du quotidien. La voisine qui garde les enfants à midi quand on n’a pas pu les inscrire à la cantine et qui offre des légumes de son potager. Ceux dont on garde les enfants. Celui qui nous donne du pain pour les poules. Celle qui récupère notre panier de l’AMAP et nous le dépose à la maison. Celui qui nous sourit chaque matin quand on le croise dans la rue.À la campagne (d’après mon expérience), les gens sont (un peu) plus disponibles. Les séances de ciné ou les concerts sont plus rares, les gens ont moins d’invitations, et donc on peut plus facilement inviter des gens et nouer des relations. C’est plus facile d’aller faire une soirée chez la voisine que chez des copaines de la ville (qui est à une demi-heure de train), donc mon invitation a plus de chance d’être acceptée que la même quand j’étais en ville et que j’étais en “concurrence” avec plein d’autres potes.
On n’a pas choisi notre village au hasard. C’est un lieu où il y a une proportion non négligeable de gens qui nous ressemblent : écolo, de gauche, travaillant dans le social ou dans le culturel. L’entre-soi a, certes, plein d’inconvénients, mais ça a été un facteur très important pour nouer des relations — on ne va pas se mentir, je peux avoir de très bonnes relations avec des gens de droite, mais il est assez improbable que ça devienne des amis proches !
Les réseaux sociaux
Je crois que plus le temps passe, plus je sais qui je suis et ce que je veux. Et c’est aussi en faisant des choix conformes à cette orientation que j’ai pu rencontrer des personnes avec qui j’avais des atomes crochus !
Je ne suis pas très à l’aise pour prendre la parole dans un groupe de potes et j’ai tendance à m’effacer. Du coup, ce processus d’affirmation de moi-même est aussi passé par les réseaux sociaux, où par l’écrit et le dessin il m’a été plus facile de dire tout haut ce que je pensais et ressentais.
J’ai fait de vraies belles rencontres sur instagram, qui se sont prolongées dans la “vraie” vie. C’est aussi un lieu qui m’a permis de susciter des discussions avec mes proches que j’aurais eu du mal à lancer spontanément.
Et c’est notamment grâce à Instagram que j’ai pu contacter des facilitatrices graphiques dont j’aimais le travail, et qui sont devenues de vraies amies !
Et les enfants ?
On dit souvent qu’avoir des enfants favorise le fait de se faire des ami·es parce qu’on rencontre tous les autres parents à l’école. Je dirais que ce n’est pas si simple. Oui, ça permet de croiser plein de trentenaires/quarantenaires et d’avoir un sujet de discussion facile (Votre fille est en quelle classe ? Ah, super.).
MAIS, ça nuit aussi beaucoup à la qualité des échanges. Parce que les discussions ne sont pas les mêmes quand il y a des enfants dans la place. Et qu’on ne peut pas livrer le fond de son âme quand on est interrompu·e toutes les trois minutes (Maman, Zéphyr m’a piqué mon [insérez ici n’importe quel objet absurde ne suscitant aucun intérêt avant que son frère ne le prenne] / Maman, j’ai envie de faire pipi / Maman, Nino m’embêêête ! / Maman, tu peux venir ? / Mamaaaan, je me suis fait maaaal ! / etc.).
Et parce que c’est facile de parler de nos enfants plutôt que de tout autre chose. C’est un vrai sujet, et il est passionnant. Mais par habitude ou facilité, on oublie parfois qu’il y a plein d’autres choses sur lesquelles on pourrait se rejoindre. Et je vois la différence entre les relations avec les copines que je vois sans enfants et celles que je vois avec.
Heureusement pour moi, un petit miracle s’est invité dans notre village. J’ai nommé : les séances de CNV !
La CNV
Depuis deux ans, avec une petite dizaine d’autres femmes de mon village ou des environs, je participe à des ateliers mensuels de formation à la Communication NonViolente. Au-delà de tout ce qu’on y apprend, ce que j’ai trouvé dans ces ateliers, c’est une communauté d’écoute, de bienveillance et d’entraide.
Un lien très fort s’est tissé avec les femmes avec qui je partage depuis des mois ces soirées. On se voit pendant deux ou trois heures, sans enfants (et sans hommes !) et on prend le temps de s’écouter. Ces bulles de douceur et de sororité sont infiniment précieuses pour moi.
Il n’est plus rare que l’une d’entre nous demande ou propose à une autre un moment d’écoute empathique. Les habitudes de communication qu’on a apprises ensemble se prolongent dans notre quotidien. Et j’ai le sentiment que dans nos discussions on arrive désormais plus facilement à être sincères et vulnérables, à se partager des choses profondes et personnelles.
L’engagement associatif
Enfin, dernier espace de socialisation, assez évident : le monde associatif. Je peux témoigner de l’efficacité de ce moyen pour rencontrer des gens et tisser des liens ! Quoi de mieux que de porter un projet ensemble pour se sentir relié·es ?
Avec mes copines facilitatrices graphiques, organiser ensemble le Festival du Feutre a été un vrai boosteur de complicité.
Qu’il s’agisse de faire des crêpes pour l’association des parents d’élèves ou bien de concevoir une mobilisation pour défendre les personnes migrant·es, l’essentiel est de faire ensemble et de se sentir porté·es par les mêmes valeurs.
Et puis on vit dans certains de ces espaces des expériences intenses, qui créent un sentiment de connexion très fort. Un weekend à courir ensemble dans la boue et à respirer des gaz lacrymogènes pour grimper sur des mégabassines , ça vaut au moins 10 ans d’apéros tranquillou du vendredi soir !
Enfin, dans ces temps trouble, c’est infiniment précieux pour moi de pouvoir serrer dans mes bras des ami·es qui comprennent ce que je vis par rapport à l’état du monde.
De pouvoir se dire sans un mot "C’est dur de continuer à croire que ça sert à quelque chose de lutter contre la violence de ce système capitaliste, colonial et patriarcal, je me sens impuissante et en colère mais que je suis heureuse de te voir !".
J’espère que vous aussi, vous avez quelques ami·es comme ça dans votre vie.
Merci de faire un petit peu partie de la mienne en me lisant de l’autre côté de l’écran !
Vous êtes désormais 350 à me lire ici (c’est fou), et je serais contente d’en savoir un peu plus sur vous et ce que vous attendez de ces lettres. Pourriez-vous prendre 2 minutes pour répondre à ce (tout petit) sondage ? https://louiseplantin.substack.com/survey/1455813
Et bien sûr, comme d’habitude, si vous trouvez que ce que j’écris/dessine pourrait parler à quelqu’un·e de votre entourage, vous pouvez lui transmettre cette lettre !
Enfin, un petit mot pour vous informer que j’ai activé sur Substack la possibilité de me soutenir financièrement. Écrire ces lettres et créer du contenu pour les réseaux sociaux me prend du temps ; en me soutenant de quelques euros par mois vous pourrez m’encourager à continuer (et me permettre, par exemple, de rémunérer une baby-sitter pour que j’ai quelques heures de plus à consacrer à ces projets ! ;-).
Bonne journée, prenez soin de vous (et de vos ami·es !)
Louise
Le terme d’adelphité, « neutre » et surtout inclusif, regroupe à la fois la fraternité et la sororité, sans dimension ni mention genrée ; et désigne la solidarité entre ses semblables, qu’ils soient hommes, femmes ou non binaires (définition d’Oxfam France).
Vraiment intéressant comme démarche et processus de réflexion ! Tu peux expliquer comment vous avez trouvé votre village ? Est ce que la transition avec l(es) enfant(s) à été douce ? Les miens semblent tellement attachés à leur petit monde que j'ai l'impression que je les traumatiseraient si on changeait de lieux de vie.