Chèr·e lecteur·ice,
Cette lettre va mentionner des faits qui peuvent générer de l’anxiété. Si tu sens que ta santé mentale est fragile en ce moment et que ça peut faire trop, je te propose d’aller plutôt faire une balade ou d’appeler un·e ami·e pour prendre un café, et de lire cette lettre à un autre moment. Prends soin de toi, tu es précieux·se !
Dans le carnet ce mois-ci :
Notre maison brûle (et le feu a déjà bien entamé les murs porteurs)
Vivre à l’ère du collapse
Deuil, colère, action et collectif
Notre maison brûle (et le feu a déjà bien entamé les murs porteurs)
Vous vous souvenez du changement climatique ? Ce truc dont on parlait beaucoup à l’époque où une jeune suédoise avec des tresses avait décidé de ne plus aller à l’école le vendredi ?
Quelques années de macronie, une crise économique, des élections volées et un été pluvieux plus tard, le climat semble avoir disparu de la conscience nationale. Les associations qui portent ces sujets depuis des décennies ressemblent de plus en plus à des prophètes qui crient dans un désert. Personne ne les voit, personne ne les entend, et surtout pas notre nouveau gouvernement.
J’ai reçu hier cette newsletter de Bloom :
Chers soutiens,
Ça y est, la bascule est en cours.
Nous sommes entrés dans une phase grave, inimaginable et irréversible de notre présence humaine sur la planète.
Pendant des décennies, les scientifiques ont prédit le changement climatique et les effets de la destruction à grande échelle des habitats et des espèces vivantes par les activités humaines. Pendant des décennies, les scientifiques ont annoncé la catastrophe à venir.
Tout ce que nous avions à faire, c'était de croire en la science. De croire en notre capacité quantitative à prédire l'avenir en extrapolant les tendances.
Mais nous n'avons pas cru. Nous n’avons pas écouté. Nous n'avons pas agi, ou à la marge.
[…]
En septembre 2023, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres disait que notre addiction aux énergies fossiles avait « ouvert les portes de l'enfer ».
Nous y voilà.
Désormais, la catastrophe est visible.
Le cycle de destruction de la nature, du climat et des humains est enclenché. Quatre millions de morts sont déjà imputables au changement climatique. 2023 a été l’année de franchissement de tous les records : température globale, température de l’océan, perte d’étendue des glaces… Alors qu’une 7ème limite planétaire, l’acidification des océans, est en cours d’être dépassée et que 2023 a vu l’effondrement des puits de carbone terrestres, les chercheurs qui alertent depuis plusieurs décennies viennent de publier un état des lieux du changement climatique intitulé « Des Temps périlleux pour la planète Terre ». C’est l’article dont nous avions besoin, celui qui fait le bilan à date de l’impact des bouleversements climatique et biologique sur la planète et les humains.
[…]
On compte dorénavant plus d’un désastre climatique par jour. […]
Le cycle de l’eau est altéré partout sur Terre. Il est devenu plus irrégulier et imprévisible, générant des problèmes croissants d'excès ou de manque d'eau. Ces alternances de sécheresses et de déluges augmentent la proportion de zones inhabitables. Le niveau des mers croît plus rapidement que prévu, submergeant progressivement une grande partie du littoral mondial et menaçant d’entraîner le déplacement de centaines de millions de personnes avant même la fin du siècle. Les espèces vivantes, quant à elles, disparaissent comme peau de chagrin. […]
Le monde, tel que nous l’avons connu, est en train de disparaître.
Jamais l’humanité n’a été confrontée à un choc de si grande ampleur. Aucune expérience passée ne peut éclairer le chemin à suivre. La comète du changement climatique et de la destruction de la biosphère nous fonce dessus, mais nous continuons à regarder ailleurs et pire, à appuyer sur l’accélérateur du désastre.
Après avoir lu ça, j’ai mis un peu de temps à m’endormir. J’aurais pu écrire hier ce post d’il y a quelques mois (cliquez sur l’image pour le lire) :
Il y a vraisemblablement quelque chose de cyclique dans mon rapport à l’éco-anxiété.
Alors,
Qu’est-ce que ça change, de vivre dans l’imminence du chaos ?
De se projeter vers un avenir inévitablement moins confortable ?
C’est déjà un luxe de n’en être que là, quand tant d’autres sont déjà confronté.es à l’intolérable.
C’est un luxe au point que certain·es arrivent encore à détourner les yeux du désastre. Et même, à l’ignorer suffisamment pour continuer à l’alimenter sans une once de culpabilité.
Depuis plusieurs années, la pensée de ce qui vient colore beaucoup de mes choix, de mes projections, de mes décisions.
Vivre à l’ère du collapse
On aménage la maison. Je ne dis rien mais je pense : c’est bien, cette porte à l’arrière. Ça permettra de s’enfuir sans être vu. Et cet espace, sous le toit. On pourra s’y cacher. Il faudrait faire pousser plus d’arbres, dans le jardin, pour pouvoir cacher des gens, des réfugiés ou des résistants, qui ne soient vus ni du ciel ni des voisins.
Tu veux faire de l’escalade mon petit loup ? Bonne idée, tu pourras plus facilement fuir, ou te cacher, ou atteindre des lieux stratégiques à saboter. Qui pourrait t’enseigner comment te nourrir de plantes sauvages, si tu te retrouves seul en forêt ? Qui pourrait t’enseigner à te battre ?
Et on tient combien de temps, avec nos stocks actuels de nourriture ? C’est pas assez. Il faut qu’on achète de quoi stocker davantage. Et pour l’eau ? Il faut installer cette cuve, vite. Et purifier l’eau de nos puits.
Je voudrais faire des stocks de médicaments. Du doliprane et des antibiotiques, au moins. Peut-être un antidouleur plus fort, pour les blessures et maladies graves qu’on ne pourra plus soigner.
Je passe du temps avec mes amie.es. Mais je ne passe pas seulement du temps avec mes ami.es. Je construis un réseau de soutien et de résilience locale.
Je cultive mon potager. Mais je ne le fais pas que pour le kiff du jardinage. Je m’entraîne. Pour le jour où ça sera vital.
Vous pensez peut-être que je dramatise. Que je m’emballe. Mais c’est le monde qui est fou, et nos chances d’échapper aux guerres, aux dictatures et au chaos climatique me paraissent minces.
En parallèle deux objectifs, toujours : comment on évite le pire. Et comment on s’y prépare. Atténuation et adaptation, disent les professionnels du changement climatique que j’entends dans les grandes conférences nationales auxquelles j’assiste pour mon boulot.
Moi je dis, lutte et anticipation. C’est un peu pareil, avec quelques divergences stratégiques. L’atténuation dont je rêve est nettement moins tolérante à l’égard des grandes industries écocidaires.
Et ces ingénieur·es, ces technicien·nes et ces élu·es, je ne sais pas s’ils y croient vraiment. À force d’en parler, j’ai parfois l’impression que ça devient pour elles·eux un objet théorique. D’ailleurs, pour moi aussi, parfois.
Il y a quelques jours, il a suffit de deux centimètres d’eau dans mon salon pour me rappeler que ce dont on parle, c’est bien du concret. Puis il a fait chaud, et mon soulagement de ne plus être sous la flotte l’a disputé à l’angoisse de ces températures anormalement douces.
De temps en temps j’arrête ce que je fais, je prends le temps de respirer, et j’ai un léger vertige.
Je me vois, ici et maintenant, en sursis. Je prends conscience de la fragilité de ma vie. Que cette stabilité n’est qu’une illusion, et que d’un jour à l’autre tout peut basculer. Memento mori version vingt-et-unième siècle.
Arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Guerre nucléaire. Guerre tout court. Catastrophe climatique.
Tout peut s’effondrer, disait Pablo Servigne il y a bientôt dix ans.
Et ça s’effondre. Les prédictions des scientifiques se réalisent. Le changement de cap n’est même pas amorcé. Le capitalisme récupère et digère toutes les tentatives de changement pour mieux les neutraliser. On a du bio et du zéro déchet au supermarché, des SUV électriques, du tourisme durable accessible en avion et des films engagés sur Netflix.
Alors, que faire ? Comment vivre, et est-ce que ça vaut encore le coup de se battre ?
Cette situation est complètement inédite, mais ce n’est pas la première fois que des humain·es ont l’impression que tout est foutu. On peut s’inspirer de celles et ceux qui ont lutté avant nous pour sauver ce qui pouvait l’être. Ils et elles ont gagné, parfois.
Je veux continuer à croire que ce n’est pas perdu. Allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté. Et construire pas à pas ce monde différent. L’incarner, ici et maintenant, à travers une vie sobre, une maison ouverte, un engagement politique et militant. Mais régulièrement, année après année, ce même constat. Ça ne va pas assez vite, pas assez fort. Je ne suis pas assez engagée. Pas assez sobre, pas assez accueillante, pas assez militante. Pas assez entourée des mêmes énergies.
Alors, comment renforcer cela ? Comment tisser davantage de liens autour de moi pour faire advenir cette nécessaire révolution ici et maintenant et/ou se préparer au chaos ?
Je n’ai pas de réponse à cette question et je ne sais pas où je vais avec cette lettre. Je n’ai pas de conclusion brillante pour vous dire quoi faire.
… Celle de Bloom était pas mal, je vous la mets ici :
Comment ne pas désespérer des logiques à l’œuvre ? Comment ne pas baisser les bras face à la puissance de destruction de l’humanité ?
En acceptant de devoir passer par le deuil.
Il a fallu accepter l’idée que notre mission avait changé. […] reconnaître que non seulement, nous ne réussirions pas, seuls, à avoir raison d’un système capitaliste financiarisé qui tire profit de la destruction de la nature et de l’asservissement des humains, mais que nous ne pourrions pas empêcher les ravages sidérants qui nous échoyaient en partage et que les dirigeants politiques irresponsables n’ont pas eu le courage d’anticiper.
Cela a été douloureux et continue à l’être. Cela s’est accompagné d’éclats de tristesse profonde. Mais c’est notre destinée commune. Nous avons été forcés de l’accepter et de faire bouger notre cible. Puisque nous ne pourrons pas éviter toutes les pertes, nous devons désormais agir pour en éviter certaines et pour éviter le pire. […]
L’urgence sans précédent à laquelle nous sommes confrontés en tant qu’espèce nous intime l’ordre de redoubler de courage et de volonté pour ne pas abandonner les humains et non-humains au rouleau compresseur et autodestructeur des logiques financières dominantes.
La situation est sidérante et peut chez certain·es provoquer une colère immense, mais rappelez-vous cette découverte faite par une étude norvégienne et qui corrobore ce que nous constatons chez BLOOM : la colère est sept fois plus génératrice d’actions pour lutter contre le changement climatique que l'espoir.
[…]
Nous savons que nous sommes entré·es dans un tunnel et que l’horizon est sombre, mais nous savons aussi que la jeunesse, comme nous, ne compte pas « marcher comme des somnambules vers l'extinction ».
En réalité, la lutte ne fait que commencer. Nous devons plus que jamais massifier notre mouvement, resserrer nos liens, faire entendre nos voix et aider la jeunesse à tenir les combats dans la durée.
[…]
Nous sommes plus déterminés que jamais.
Hauts les cœurs.
Je résumerais cette conclusion comme ça : place au deuil, à la colère, au renforcement des collectifs et à la lutte.
Deuil, colère, action et collectif
D’après mes observations1, face à la prise de conscience écologique, la plupart d’entre nous réagissent avec un mélange (à des degrés divers) de :
Déni (qui peut aussi prendre la forme d’une lucidité intellectuelle mais couplée à une insensibilité émotionnelle : je connais tous les chiffres de la catastrophe en cours, voire je les étudie de près, mais ça ne m’atteint pas, ou peu. Dans ce cas, dans ce que j’ai observé autour de moi, c’est généralement le cas de personnes - sans surprise, le plus souvent des hommes, mais pas que - qui sont dans leur vie peu reliées à leurs émotions). On peut alterner des phases de déni et des phase de lucidité.
Tristesse, solastalgie
Colère
Désespoir et sentiment d’impuissance
Je vous ai longuement parlé dans une précédente lettre de comment prendre soin de nos santés mentales. C’est capital. Mais au-delà de cela, et pour cela aussi, dans ma vie je pratique surtout :
Le Travail Qui Relie, pour accompagner et vivre le deuil, regarder mes peurs en face et écouter ce qu’elles ont à me dire plutôt que de les fuir, faire de la place à ma colère, en faire un feu qui nourrit l’action.
L’action, pour chasser l’impuissance, pour entraver, même d’un grain de sable, la destruction du vivant. Pour faire collectif aussi.
Le collectif, parce que c’est vital et parce que ça permet de tenir, de prendre soin les un·es des autres, d’être plus fort·es, individuellement et ensemble. Et pour la joie.
Gloire à nos luttes, même les plus petites !
Merci de m’avoir lue jusqu’ici, lecteur·ice ! Et toi, comment tu te dépatouilles avec ce monde si abîmé ? Si tu en as envie, raconte-moi en répondant à ce mail, ou bien en commentaire.
Dans une prochaine lettre, je vous en dirai plus sur le Travail Qui Relie, parce que c’est un sujet à part entière. D’ici là, si vous avez envie d’agir sans savoir où ni comment, je vous recommande d’aller jeter un œil à l’arbre aux actions de Racines de Résilience, où vous trouverez une myriade de pistes d’actions réparties en 3 pôles : S’interposer / Régénérer / Construire.
Et je le dis tout le temps mais tant pis si je me répète : on ne peut pas s’engager partout et c’est pas grave. Il faut bien commencer par quelque part ; allez là où ça vous parle. Ça ne changera pas la face du monde, mais ça participera à faire pencher la balance du bon côté.
Nous ne sommes que de minuscules poussières d’étoile, on est microscopiques, mais on n’est pas insignifiant·es. Ce que tu fais compte.
& Avant de vous quitter, quelques pages de carnet !
Vous êtes bientôt 300 à me lire ici et c’est un grand honneur pour moi. Si vous avez envie de partager cette lettre, n’hésitez pas, ça me ferait super plaisir ! Et si on vous a transmis cette lettre, vous pouvez vous abonner juste là :
Hauts les cœurs, gloire à nos luttes, et merci d’être là !
À bientôt,
Louise
Pour une approche plus scientifique de ce que provoquent les prises de conscience écologiques, voir : https://www.helloasso.com/associations/trajectoires-ecologiques/collectes/enquete-sur-les-trajectoires-ecologiques