Chèr·es lecteurices,
J’espère que ce mois s’est bien passé pour vous. Le mien a été un peu chaotique et très rempli, et je vous écris à nouveau in extremis. Ce mois-ci j’ai envie de vous parler de liens : de ceux que créent les combats pour l’égalité et la justice, et de ceux qui nourrissent et renforcent ces luttes (ça peut être les mêmes !).
Faire front (populaire) et se serrer les coudes
(Si vous me suivez sur les réseaux sociaux et que vous avez donc déjà lu le post ci-dessous, vous pouvez sauter cette partie — sinon, vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous pour lire la petite bd !)
J’ai eu l’impression à la rentrée que c’était dur pour beaucoup de se remettre en mouvement vu la situation politique et la perspective de devoir potentiellement lutter toute notre vie sans arriver à enrayer les catastrophes sociales et écologiques. Ça peut être franchement désespérant.
Pour une part de moi, c’est le cas. Mais une autre part de moi avait trop envie de retrouver les copaines militant.es et du coup hâte que les réunions de rentrée aient lieu.
Du coup ça m’a amené à deux réflexions :
1- Il faut plus de gens qui s’engagent concrètement. C’est la rentrée, donc le bon moment pour vous engager dans une asso ou un collectif ! Pour la/le choisir, essayez juste de voir quels sont les sujets pour vous les plus vivants, ceux qui vous font vibrer, vous mettent en colère, vous mettent en mouvement : l’écologie ? Les droits des personnes LGBTQIA+ ? La justice sociale ? L’égalité femmes-hommes ? La défense des animaux ? L’accueil des personnes migrantes ? Vous ne pouvez pas tout faire, mais il faut des gens partout. Donc choisissez en fonction de ce qui vous anime vraiment !
Ensuite, allez rencontrer des gens du ou des collectifs, soit à une réunion d’accueil soit de façon plus informelle, et voyez si ça vous parle !
2- Ça peut prendre du temps, mais j’ai l’impression que ça vaut la peine de nourrir et renforcer les liens avec les personnes avec qui on lutte. Parce que c’est beaucoup plus facile de ressortir un mardi soir sous la pluie pour aller à une réunion si on sait qu’on y est attendu·e par des ami·es qui prendront soin de nous (et de la pizza, de la tisane et du chocolat). Ça veut dire : se voir en dehors des réunions, apprendre à se connaître d’autres façons, prévoir des temps de convivialité dans les temps militants, prévoir des temps d’échange et d’écoute, etc.
Un automne d’écureuils
À la maison, les travaux avancent. Nous aurons bientôt un atelier où travailler, Baptiste et moi (et j’espère, d’autres personnes qui auront envie de venir coworker !).
Au jardin, la saison se termine doucement. On cueille les derniers haricots et des quantités encore réjouissantes de framboises, on commence à ramasser les courges et on fait des stocks de compote et de noix.
Dans la forêt, c’est la teuf des champignons : mon amoureux en ramène des quantités impressionnantes, qu’on fait sécher et que l’on met en bocaux.



J’aime beaucoup cette saison où se sent comme une bande d’écureuils qui glanent de la nourriture, cultivée ou sauvage, afin de faire nos réserves pour l’hiver. L’impression de renouer avec un truc ancestral, de perpétuer des gestes accomplis par nos ancêtres depuis des millénaires. De revenir à quelque chose de simple et d’essentiel.
Et en même temps, je me suis sentie assez frustrée cette année que notre rythme de vie ne nous ait pas permis de faire ça autant que j’aurais voulu. C’est un crève-cœur de croiser au bord des chemins des kilos de fruits tombés des arbres qui pourrissent faute de pouvoir être assez rapidement ramassés et transformés. Et ça reste du coup des récoltes assez accessoires, quelques dizaines de kilos de nourriture qui ne suffiront pas à nous nourrir, loin de là.
Note à moi-même pour l’année prochaine : prévoir un agenda plus léger en septembre.
La famille s’est agrandie
Naissance de l’association Loue Solidaire
En décembre dernier, j’ai trouvé ce petit mot dans ma boîte mail, transmis par une amie :
Bonjour à toutes et à tous,
Ce message pour vous parler d'accueil de jeunes migrants qui vivent dans la rue.
Il y a actuellement de nombreux jeunes migrants (et moins jeunes) qui vivent et dorment dans la rue à Besançon. Ces jeunes sont pour la plupart en attente d'une ré-étude de leur dossier afin d'obtenir une reconnaissance de leur minorité et une prise en charge par le département.
Nous sommes nombreux à trouver cette situation inadmissible !
Nous souhaitons mettre en place, sur notre secteur du Val de Loue, un réseau de personnes qui accueillent, à leur domicile, à tour de rôle et pour une durée délimitée, ces personnes à la rue.
Si l'idée vous parle et que vous souhaitez d'une manière ou d'une autre apporter votre soutien à ce projet (soit en devenant accueillant à la semaine et ou en weekend, soit en apportant un soutien moral, matériel ou technique, ...), nous vous proposons un petit temps de rencontre et de discussion le jeudi 7 décembre 2023, de 18h30 à 19h30
Le 7 décembre, je me retrouve donc dans la salle municipale d’un village voisin, et constate avec joie que nous sommes TRÈS nombreux·ses. La salle est comble : plus de cinquante personnes se sont déplacées ce soir là.
Puis d’autres réunions ont lieu.
Ce n’est pas facile de créer un collectif qui fonctionne, de l’organiser, de se répartir les tâches et les champs d’action, mais en deux ou trois soirées ça prend forme.
À chaque réunion, quelqu’un·e fait un point sur la situation avec les infos issues des associations de Besançon, qui sont nos partenaires. C’est toujours un moment un peu plombant, voire glaçant, et en même temps ça donne du sens à ce qu’on est en train d’essayer de bricoler.
Le déclic
Et puis, un soir, je rentre de chez moi et j’écris ça sur Instagram.

Ce soir-là je reste longtemps éveillée dans mon lit. En écoutant tout ça, dans cette cuisine chaleureuse, avec les jeunes en question assis sur le canapé à côté de nous, c’est devenu terriblement réel. Et en même temps, très simple. Les mettre à l’abri, même si c’est insuffisant, c’est basique. Pas besoin de plus qu’une chambre et un lit. Et chez nous, si on débarrasse et qu’on réorganise un peu, il y a une chambre, assez grande pour deux.
Ne manquent que les lits, et le courage de sauter le pas. Ce soir-là, l’impulsion est donnée. Je ne peux pas dormir, et je sens que dans cette insomnie il y a l’excitation d’un nouveau chapitre qui s’ouvre. Parce qu’à ce moment-là, je sais déjà que je vais le faire.
Le lendemain je parle à mon amoureux. Il s’y attendait. Il est d’accord. Et quelques semaines plus tard, tout est prêt.
(Je vous remets aussi le petit récit ci-dessous parce que par les temps qui courent toutes les belles histoires valent le coup d’être racontées)
Bilan (pour l’instant)
C’est ainsi que depuis quelques temps, nous accueillons régulièrement à la maison deux adolescents “mineurs non accompagnés” (MNA), que l’on appellera ici Hervé et Moussa, ce ne sont pas leurs prénoms mais ça me permettra de vous raconter des trucs tout en préservant la confidentialité nécessaire à leur protection. MNA, ça veut dire qu’ils sont arrivés en Europe sans être accompagnés d’un.e adulte.
C’est une sorte de garde partagée, avec une autre famille d’un village près du nôtre, avec qui on s’entend très bien. On a finalement Hervé et Moussa à mi-temps, à peu près trois semaines chez nous puis trois semaines dans l’autre famille, mais c’est très flexible, on s’arrange entre nous, en fonction des contraintes de chacun·e.
Cela me donne beaucoup de joie.
J’ai grandi dans une famille très nombreuse, et je crois qu’il m’en est resté un enthousiasme profond pour le collectif dans le quotidien. Aujourd’hui, rien de me réjouit plus que d’être dans la cuisine à regarder Nino qui demande des conseils à Hervé sur ses devoirs pendant que Moussa chantonne en cuisinant pour toute la famille et que Zéphyr joue par terre. C’est pour moi une vision du bonheur.
J’adore voir ces grands ados lire des histoires à mes enfants ou leur apprendre à faire du vélo. J’ai adoré cet été les emmener en vacances et voir leur regard émerveillé quand ils ont vu la montagne pour la première fois, et voir leur joie d’enfants à s’arroser sous une cascade. J’aime quand ils restent à table avec nous le soir en s’envoyant des vannes et en nous racontant des histoires sur leur pays.
Bien sûr, tout n’est pas joyeux. Leur vie a été dure jusqu’à maintenant, ils sont maintenus dans une incertitude plus qu’angoissante par les procédures de demande de reconnaissance de minorité, leur avenir semble souvent complètement bouché et on ne peut pas attendre d’eux dans ce contexte qu’ils soient rayonnants tous les jours et pleins d’énergie.
Mais globalement, ça se passe très bien. On partage le quotidien et c’est simple. Ils sont intelligents, gentils, ouverts, ils ont envie de participer à la vie de la maison. On est une famille. On ne résoudra pas tous leurs problèmes, on n’est pas là pour les sauver, mais on les accueille comme s’ils étaient nos enfants et c’est simple.
Et enfin, accueillir ces enfants me donne le sentiment d’être à ma place. C’est souvent difficile, dans ce monde si inégalitaire et si violent, de savoir si on fait ce qu’il faut. Je suis bourrée de privilèges, je ne fais pas toujours ce que je devrais, mais accueillir Moussa et Hervé, je pense que c’est juste. Simplement. Et ça m’aide à tenir debout.
J’arrête là ce récit pour aujourd’hui, mais si vous avez des questions sur ce sujet, n’hésitez pas à laisser un commentaire, je vous répondrai !
Si ce récit vous parle et que vous vous posez la question de devenir à votre tour accueillant·e solidaire, de façon ponctuelle ou régulière, beaucoup d’associations qui cherchent des hébergeureuses existent partout en France, n’hésitez pas à contacter la plus proche de chez vous pour en discuter avec elle !
& Bien sûr, pour fonctionner, notre association a besoin d’argent. Des séjours de vacances ont été organisés cet été par Loue Solidaire pour une cinquantaine de jeunes hébergés à Besançon, et certaines dépenses du quotidien (transport, activités, argent de poche…) des jeunes hébergés dans notre réseau sont pris en charge par l’asso. Ça représente au final sur un an des dépenses importantes. Loue Solidaire ne fonctionne pour l’instant que sur des dons de particuliers. Donc là c’est le moment où je vous demande de fouiller vos poches ! ;-)
Pour faire un don, c’est ici : https://www.helloasso.com/associations/collectif-loue-solidaire
Merci d’avance ! <3 <3 <3
Reco lecture
Avant de vous quitter, les petits conseils lecture du mois !
Vous avez peut-être entendu parler de la récente bande dessinée d’Hippolyte Le murmure de la mer. L’auteur a embarqué avec SOS Méditerranée sur l’Ocean Viking et raconte la vie à bord, les entraves politiques, le danger, l’émotion, les précieux moments d’humanité.
Les aquarelles sont splendides, c’est splendide et tragique à la fois. Un beau voyage !
Mais il y a une autre bande dessinée, plus ancienne, que j’ai adoré sur ce sujet : l’Odyssée d’Hakim.
L’auteur y raconte en détail l’itinéraire d’un réfugié, et donne à voir combien c’est loin de la représentation qu’on en a : la complexité de ce parcours, la vie à reconstruire sans cesse, à chaque fois dans un nouvel endroit, asile précaire dont la guerre ou la misère chasse à nouveau le jeune homme. C’est vraiment un livre d’utilité publique.
Moins de 2h avant octobre, je n’ai jamais été aussi à la bourre sur ma lettre. J’espère que je n’y ai pas laissé trop de coquilles et qu’elle est compréhensible !
Je souhaite à chacun·chacune d’entre vous de passer un bel automne, de prendre soin de vous et des autres autour de vous, de trouver des collectifs où vous épanouir et de mettre du sens dans votre quotidien !
Merci d’être là,
Louise